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Quelques réflexions juridiques sur la pratique du « Name & Shame »

Authors
Guy Castegnaro
Founder & Managing Partner - Luxembourg
CASTEGNARO
Luxembourg
20.12.22
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La pratique de dénonciation des employeurs par leurs salariés via les réseaux sociaux – nommée outre atlantique « Name and Shame » – connaît actuellement une popularité croissante.

Ceci est même le cas au Luxembourg si l’on tient par exemple compte du compte Instagram nouvellement créé et dénommé « Balance ta start-up ». Des comptes similaires existent déjà depuis un certain moment chez nos voisins comme le démontre le compte français « Balance ton cabinet d’avocats » sur lequel même des cabinets luxembourgeois ont déjà été pointés du doigt.

Ainsi, on peut constater que de plus en plus de témoignages anonymes dénonçant des violations du droit du travail, liées le plus souvent à des accusations en matière de discrimination, envahissent Instagram.

Le droit à la liberté d’expression

Ces pratiques peuvent dans un premier temps ressembler à une forme d’exercice du droit à la liberté d’expression tel que consacré par la Constitution du Luxembourg et la Convention européenne des droits de l’homme.

Ceci est amplifié par le fait que le/la salarié/e, généralement considéré/e comme la « partie faible » au contrat de travail, ne peut souvent que très difficilement se défendre en matière de discrimination ou de harcèlement.

Le/la salarié/e se trouve effectivement, de par la nature du contrat de travail lui-même, dans un lien de subordination vis-à-vis de l’employeur.

La pratique du « name & shame », qui semble constituer pour la prétendue victime son ultime moyen de défense, se heurte cependant, à mon avis, à plusieurs principes importants régissant un État de droit.

Limites au droit à la liberté d’expression

Tout d’abord dans le cadre d’une telle pratique, le principe du contradictoire est rarement respecté. En vertu de ce principe, l’employeur devrait avoir le droit de prendre connaissance des faits qui lui sont reprochés et d’y prendre position avant toute accusation portée contre lui sur le compte Instagram.

Il en est de même du principe de la présomption d’innocence qui veut qu’un individu ne puisse être considéré comme coupable d’une violation du droit avant d’avoir été définitivement jugé comme tel par un tribunal.

A cela s’ajoute que le/la salarié/e qui décide de dénoncer son employeur par le biais de la pratique du « name & shame », risque de commettre une violation de son obligation de loyauté ainsi que le cas échéant de son obligation de confidentialité, et s’expose ainsi à une éventuelle action en responsabilité, voire à un licenciement pour faute grave, de la part de l’employeur ayant subi un préjudice commercial ou autre.

Finalement, une telle dénonciation n’apportera aucune solution concrète directe au problème auquel le/la salarié/e est ou était confronté/e sur son lieu de travail.

Même si une telle pratique est à mon avis intolérable et condamnable, il faut cependant essayer de comprendre les raisons qui sont à l’origine de tels agissements de salarié/es apparemment désillusionné/es et réfléchir à de possibles remèdes afin d’éviter un accroissement plus important de cette pratique.

Les raisons d’une telle pratique

Cette pratique s’explique tout d’abord par la faiblesse des moyens juridiques actuellement à disposition du/de la salarié/e confronté/es à des agissements discriminatoires sur le lieu de travail.

Il est souvent très difficile, voire impossible, pour un/e salarié/e de prouver ou d’établir des faits qu’il ou elle juge discriminatoire.

A cela s’ajoute que ces accusations sont souvent analysées par les tribunaux une fois que le contrat de travail a été résilié, donc lorsque le/la salarié/e aura déjà perdu ou abandonné son emploi.

Finalement, la durée et le coût des procédures judiciaires ne facilitent pas non plus les choses et découragent souvent les salarié/es à agir judiciairement. Comme les accusations sont le plus souvent basées sur des preuves, outre la difficulté de trouver des témoins qui sont disposés à témoigner contre leur employeur ou ex-employeur, l’écoulement du temps n’aidera certainement pas les témoins à se souvenir en détail des faits accusatoires.

Comment y remédier ?

Modernisation du droit du travail

Un premier remède à cette pratique pourrait consister en une modernisation plus rapide de notre droit du travail. Une telle modernisation doit consister en une adaptation de notre droit du travail aux nouveaux défis en matière d’emploi, parmi lesquels figure également la lutte contre toute forme de discrimination sur le lieu de travail.

Dans ce contexte, il est difficilement compréhensible qu’une loi spécifique relative à la lutte contre le harcèlement moral n’a toujours pas vu le jour et cela malgré de nombreuses tentatives gouvernementales dans le passé. Malgré l’existence de la convention du 25 juin 2009 sur le harcèlement et la violence au travail, déclarée d’obligation générale, cette convention bien qu’utile en qui concerne la prévention et la gestion du harcèlement, n’apporte pas de réponses satisfaisantes en matière de preuve ou de protection des victimes ou témoins d’actes de harcèlement.

Dans son accord de coalition de 2018, l’actuel gouvernement luxembourgeois s’était engagé à légiférer « dans les meilleurs délais » en matière de harcèlement moral. Bien qu’un projet de loi ait bien été déposé en juillet 2021, il est malheureusement très peu probable que ce projet voie le jour avant les prochaines élections parlementaires prévues en 2023.

Pourtant ce projet prévoit certaines améliorations par rapport à la situation actuelle consistant notamment dans la participation et l’intervention de l’Inspection du Travail en matière d’établissement de la preuve de prétendus actes de harcèlement moral ainsi qu’en matière de protection des victimes et des témoins et d’indemnisation particulière pour harcèlement moral.

Renforcement du dialogue social

Finalement, un dialogue social au sein de l’entreprise qui serait davantage et plus clairement orienté vers la lutte contre les discriminations et contre le harcèlement sur le lieu du travail pourrait également constituer un moyen d’éviter les dénonciations sur la place publique qu’est par exemple Instagram.

Conclusion

La pratique du « name & shame » qui est certes inacceptable et condamnable, montre cependant d’une part l’intérêt de promouvoir un dialogue social de qualité dans les entreprises et d’autre part le besoin de moderniser plus rapidement notre droit du travail.

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