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Mise à pied avec effet immédiat injustifiée : à quelles indemnités le délégué du personnel peut-il prétendre ?

Authors
Solenne Laurent
Associate - Luxembourg
CASTEGNARO
Luxembourg
22.02.24
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Au Luxembourg, un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, bénéficie d’une protection spéciale pendant toute la durée de son mandat et jusqu’à l’expiration ou la cessation de son mandat. [1]

 

Par conséquent, l’employeur interdit de modifier une clause essentielle du contrat de travail d’un délégué du personnel en sa défaveur (et ce même pour motif grave) [2], et de le licencier, le cas échéant de le convoquer à un entretien préalable au licenciement, mais conserve néanmoins la faculté, en cas de faute grave, de prononcer une mise à pied avec effet immédiat à son encontre.

 

La Cour d’appel[3] a récemment rappelé les règles d’appréciation de la faute grave reprochée à un salarié ainsi que la notion d’avertissement, et s’est plus particulièrement prononcée sur les limites de l’indemnisation à laquelle un délégué du personnel, qui s’est vu notifier une mise à pied avec effet immédiat injustifiée (et qui ne souhaite ni être maintenu ni être réintégré dans l’entreprise), peut prétendre.

 

Dans cette affaire, un salarié titulaire d’un mandat de délégué du personnel s’est vu notifier une mise à pied avec effet immédiat par son employeur.

 

Deux mois après la notification de la mise à pied, le délégué du personnel dépose une requête devant le tribunal du travail aux fins notamment de voir déclarer sa mise à pied injustifiée et abusive et de voir constater la résiliation de son contrat de travail à la date de la notification de la mise à pied.

 

En première instance, le tribunal du travail déclare justifiée la mise à pied avec effet immédiat notifiée au délégué du personnel.

 

Le délégué du personnel interjette appel de cette décision afin de voir déclarer la mise à pied avec effet immédiat injustifiée et abusive et d’obtenir le paiement de dommages et intérêts, d’une indemnité de départ et d’une indemnité compensatoire de préavis.

 

Cet arrêt est l’occasion de faire un bref point sur les règles régissant la mise à pied avec effet immédiat d’un délégué du personnel.

 

La nécessaire faute grave du délégué du personnel pour justifier sa mise à pied avec effet immédiat

 

Tel que précédemment indiqué, en cas de faute grave du salarié titulaire d’un mandat de délégué du personnel, l’employeur conserve la faculté de lui notifier une mise à pied avec effet immédiat.

 

 

 

 

Conformément aux dispositions de l’article L. 415-10 (4) du Code du travail :

 

  • (i) la décision de mise à pied notifiée au délégué du personnel doit énoncer avec précision le ou les faits reprochés ainsi que les circonstances qui sont de nature à lui attribuer le caractère d’un motif grave ;

 

  • (ii) l’employeur doit invoquer, endéans le délai d’un mois (qui commence à compter du jour où il en a eu connaissance), le ou les faits/fautes susceptibles de justifier une résolution judiciaire du contrat de travail pour motif graves. Ce principe connait uniquement deux exceptions : l’hypothèse dans laquelle ce fait aurait donné lieu, dans le mois, à l’exercice de poursuites pénales ou lorsqu’il s’agit d’un fait antérieur invoqué à l’appui d’un nouveau fait ou d’une nouvelle faute.

 

Dans cet arrêt, la Cour d’appel saisit l’occasion de rappeler que la possibilité d’invoquer des faits anciens n’est pas illimitée dans le temps et que l’employeur n’est pas admis « à puiser à l’infini dans le passé de façon à noyer de facto les fautes récentes. ».

 

L’employeur est ainsi admis à invoquer à l’encontre d’un salarié, un ensemble de faits répartis dans le temps pour justifier sa décision de mise à pied avec effet immédiat (y compris ceux dont il a eu connaissance plus d’un mois avant la notification de la mise à pied avec effet immédiat), sans toutefois pouvoir invoquer des faits trop anciens.

 

Dans un tel cas de figure, au moins un des faits invoqués doit s’être produit endéans le délai légal d’un mois précédant la mise à pied, bien que l’appréciation de la gravité des faits invoqués à l’appui de la décision de mise à pied puisse inclure des faits antérieurs.

 

Le délégué du personnel ne peut prétendre qu’à des dommages et intérêts

 

Le délégué du personnel qui s’est vu notifier une mise à pied et qui ne souhaite ni être maintenu ni être réintégré dans l’entreprise, a la possibilité de saisir le tribunal du travail (endéans un délai de trois mois suivant la notification de la mise à pied), aux fins de demander la constatation de la résiliation de son contrat de travail et de voir condamner son employeur au versement de dommages et intérêts (visant notamment à indemniser le dommage subi par la cessation du contrat en rapport avec son statut de délégué du personnel jouissant d’une protection spéciale).[4]C’est justement sur cette base que le délégué du personnel est fondé à demander une indemnisation.

 

La constatation de la résiliation du contrat de travail emporte comme effet que le contrat de travail du délégué du personnel, injustement mis à pied, sera résilié rétroactivement à la date de la notification de la mise à pied avec effet immédiat.

 

Toutefois, il ne pourra ni se prévaloir du versement d’une indemnité compensatoire de préavis ni du versement d’une indemnité de départ.

 

A cet égard, il convient de rappeler que le salarié dont le licenciement avec effet immédiat serait déclaré comme étant abusif, est fondé à réclamer le versement d’une indemnité compensatoire de préavis et d’une indemnité de départ (à condition qu’il remplisse les conditions d’ancienneté pour en bénéficier), en plus d’une indemnisation au titre de son préjudice matériel et de son préjudice moral.

 

A contrario, la Cour d’appel considère que l’action en dédommagement du délégué du personnel, qui ne souhaite ni être maintenu, ni réintégré dans la société, ne lui permet pas, en l’absence de disposition légale, de réclamer une indemnité compensatoire de préavis et une indemnité de départ, et ce alors que « la constatation judiciaire de la résiliation du contrat de travail n’équivaut pas à un licenciement ».

 

Ainsi, seules la violation de la protection spéciale dont le délégué du personnel jouissait et la perte de revenus sur la période de référence sont indemnisées.

 

En effet, un délégué du personnel « indûment mis à pied et dont le contrat de travail se trouve résilié », est fondé à demander réparation de son dommage :

 

  • au titre du préjudice moral pour violation de la protection spéciale ; et,

 

  • au titre du préjudice matériel pour la perte de revenue subie au-delà des trois mois pendant lesquels le salaire a été maintenu[5].

 

En conclusion, la mise à pied avec effet immédiat injustifiée d’un délégué du personnel, suivie de la constatation de la résiliation du contrat de travail à la date de la notification de la mise à pied peut, selon les cas, s’avérer moins coûteuse pour l’employeur que le licenciement avec effet immédiat abusif d’un salarié non protégé.

 

Rappel de la notion d’avertissement et de sa portée

 

Dans le cadre de la gestion du personnel, un employeur doit avoir conscience de l’exercice son pouvoir disciplinaire.

 

Pour rappel, l’avertissement constitue une sanction disciplinaire, orale ou écrite, qui, bien que non expressément prévue par le Code du travail, est unanimement admise par les tribunaux.

 

L’essence même de l’avertissement est de rendre le salarié attentif au fait que son employeur n’accepte pas son comportement et l’invite à l’améliorer.

 

Le Code du travail ne prévoit pas de forme ni de délai particulier pour la notification d’un avertissement. En l’absence de procédure prévue par la loi, l’employeur est libre de suivre la procédure qu’il souhaite.

 

Cette liberté peut toutefois présenter des inconvénients si l’employeur agit sans réaliser qu’il exerce son pouvoir disciplinaire. En effet, un courriel adressé à un salarié contenant un compte-rendu de réunion reprenant avec précision les griefs qui lui sont reprochés par son employeur et lui demandant de prendre ses dispositions pour adapter sa conduite peut être qualifié d’avertissement. C’est notamment ce qui s’est passé dans cette affaire.

 

Dans la présente décision, le salarié avait été convoqué à une entrevue suite aux objections qu’il avait formulées quant à la nouvelle organisation de l’entreprise et à son affectation à un nouveau service au sein duquel il devrait travailler sous la supervision d’un nouveau manager.

 

Quelques jours après cette entrevue, le salarié s’est vu adresser un courriel résumant les reproches qui lui étaient adressés et lui demandant de changer de comportement et de respecter les règles dès à présent.

 

C’est dans ce contexte que la Cour d’appel a réformé le jugement du tribunal du travail en retenant que le courriel précité était à interpréter comme un avertissement et que par conséquent, l’employeur n’était plus admis à invoquer ces mêmes faits dans le cadre de la mise à pied, à défaut d’invoquer des faits postérieurs nouveaux.

 

Ainsi, l’employeur qui avait décidé de notifier une mise à pied avec effet immédiat au délégué du personnel pour les mêmes faits que ceux invoqués dans l’avertissement adressé par courriel n’était plus en droit de le faire au vue du principe de non-cumul des sanctions (« non bis in idem ».), selon lequel un même fait ne peut pas être sanctionné plusieurs fois.

 

En conclusion, conformément à cet arrêt, il est primordial pour l’employeur qui souhaite notifier une mise à pied à un salarié sur base de faits ou des fautes antérieurs, de s’assurer que le salarié n’a pas déjà été sanctionné pour ces faits, et si tel est le cas, de s’assurer de l’existence de motifs nouveaux liés à l’aptitude ou à la conduite du salarié, sous peine de voir la mise à pied déclarée comme étant injustifiée.

 

[1] Article L. 415-10 (2) du Code du travail et article L. 415.-11 du Code du travail.

[2] Article L.121-7 du Code du travail.

[3] Cour d’appel, 7 décembre 2023 n° CAL-2022-00141 du rôle.

[4] Article L.145-10 (4) alinéa 6 du Code du travail.

 

[5] Article L.415-10 (4) du Code du travail.

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