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Licenciement avec effet immédiat pour absence injustifiée : attention au délai !

Authors
Anaïs Philipp
Junior Associate - Luxembourg
CASTEGNARO
Luxembourg
22.02.24
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« Le ou les faits ou fautes susceptibles de justifier une résiliation pour motif grave ne peuvent être invoqués au-delà d’un délai d’un mois à compter du jour où la partie qui l’invoque en a eu connaissance, à moins que ce fait n’ait donné lieu dans le mois à l’exercice de poursuites pénales »[1].

Ainsi, l’employeur doit en principe, pour licencier un salarié avec effet immédiat pour faute grave au motif d’une absence injustifiée, invoquer cette faute endéans un délai d’un mois à compter du jour où il a eu connaissance du/des fait(s) litigieux.

Un licenciement tardif pour faute grave, c’est-à-dire un licenciement avec effet immédiat qui aurait eu lieu au-delà de ce délai légal d’un mois pour invoquer la faute grave serait dès lors abusif. En effet, les Tribunaux ont tendance à considérer que si l’employeur a tardé à évoquer la faute grave afin de justifier le licenciement avec effet immédiat, la faute perd de sa gravité (l’employeur étant présumé avoir implicitement pardonné au salarié la faute grave commise) et ne permettrait dès lors plus de justifier un licenciement avec effet immédiat pour faute grave.

Or, l’absence injustifiée pouvant être considérée comme une faute continue (notamment si celle-ci perdure sur plusieurs semaines et/ou mois), il convient dès lors de s’interroger sur la date à partir de laquelle ce délai d’un mois commence à courir lorsque la faute grave du salarié consiste en une absence injustifiée.

Néanmoins, la jurisprudence a eu du mal à se mettre d’accord quant à la date à prendre en compte pour faire courir le délai d’invocation d’un mois en matière d’absence injustifiée, puisque le point de départ a longuement été disputé par les Tribunaux du travail, lesquels considèrent deux situations possibles.

Conformément aux courants jurisprudentiels constatés sur ces dernières années, le délai fixé d’un mois commence à courir soit :

  1. à compter du jour où le salarié ne justifie plus de son absence auprès de son employeur dans les conditions prévues par l’article L. 121-6 (1) et (2) du Code du travail[2], soit au plus tard au troisième jour de son absence[3], ou
  2. à compter de la cessation de l’absence injustifiée du salarié[4].

Toutefois, par un de ses arrêts récents, la Cour de cassation du Grand-duché de Luxembourg[5] a jugé que le point de départ du délai d’un mois pour invoquer l’absence injustifiée susceptible de justifier le licenciement avec effet immédiat est la date à laquelle l’employeur a connaissance de l’absence litigeuse en question et non le dernier jour de l’absence en cause.

Dans cette affaire, l’employeur avait décidé de mettre fin à la relation de travail avec effet immédiat alors que le salarié se trouvait en absence injustifiée depuis plus de 3 mois[6].

Le salarié a, suite à ses licenciements, notamment contesté la tardivité du licenciement avec effet immédiat au motif que « le ou les faits ou fautes susceptibles de justifier une résiliation pour motif grave ne peuvent être invoqués au-delà d’un délai d’un mois à compter du jour où la partie qui l’invoque en a eu connaissance, à moins que ce fait n’ait donné lieu dans le mois à l’exercice de poursuites pénales ».

C’est dans ce contexte que le Tribunal du travail avait jugé régulier le licenciement avec effet immédiat et avait notamment indiqué que « Le délai d’un mois prévu à l’article L.124-10 (6) ne commence à courir qu’à partir de la fin de l’absence injustifiée du salarié », de sorte que la date à prendre en compte pour faire courir le délai d’invocation d’un mois en matière d’absence injustifiée serait ainsi le jour à partir duquel le salarié a cessé d’être en absence injustifiée.

Suite à ce jugement, le salarié avait fait appel. La Cour d’appel avait, par un arrêt rendu en date du 20 janvier 2022, confirmé le jugement rendu en première instance.

Enfin, suite à la décision rendue par la Cour d’appel, laquelle était venue confirmer la position prise par les juges de premières instance, le salarié a formé un pourvoi en cassation.

Le salarié s’est notamment opposé à la décision rendue par les juges en appel, en ce que ceux-ci ont considéré que « le délai d’un mois prévu à l’article L.124- 10 (6) ne commence à courir qu’à partir de la fin de l’absence injustifiée du salarié (Cour d’Appel, III, 08.12.2016, numéro du rôle 39761) » et que « le moyen tiré de la tardiveté du licenciement avec effet immédiat était à rejeter ».

Or, par son arrêt du 9 février 2023, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’appel en date du 20 janvier 2022.

En effet, la Cour de cassation a retenu que le point de départ du délai d’un mois pour invoquer l’absence injustifiée susceptible de justifier un licenciement avec effet immédiat pour faute grave est la date à laquelle l’employeur a eu connaissance de la faute du salarié, soit en principe à partir du jour à compter duquel le salarié a commencé à être en absence injustifiée.

Les juges de la Cour de cassation ont affirmé qu’en « fixant le point de départ du délai d’un mois pour invoquer les faits ou fautes susceptibles de justifier le licenciement avec effet immédiat au dernier jour de l’absence injustifiée du salarié, les juges d’appel ont violé la disposition visée au moyen[7], dès lors que ce délai court à partir de la date à laquelle l’employeur e connaissance des faits ou fautes en question ».

Ainsi, conformément à cet arrêt, l’employeur devrait, s’il souhaitait licencier avec effet immédiat un salarié du fait d’une absence injustifiée, initier[8] la procédure de licenciement pour faute grave endéans un délai d’un mois à compter du jour à partir duquel il a eu connaissance de l’ absence injustifiée du salarié concerné.

Il convient de noter que l’appréciation du jour à compter duquel l’employeur a eu connaissance de l’absence injustifiée doit en principe se faire au cas-par-cas.

En effet, le jour à compter duquel l’employeur a connaissance de l’absence injustifiée n’est pas d’office le jour à partir duquel le salarié a commencé à être en absence injustifiée[9]. En fonction de l’organisation des bureaux et du travail au sein de l’entreprise, il n’est pas exclu que l’employeur n’ait connaissance de l’absence injustifiée d’un salarié que plusieurs jours après que celle-ci ait effectivement commencé. Dans ce dernier cas et dans l’hypothèse où la tardivité de l’invocation de la faute grave devait être remise en cause devant les tribunaux, il reviendra à l’employeur de prouver qu’il a eu tardivement connaissance de l’absence injustifiée du salarié concerné ainsi que la date précise à laquelle il a effectivement eu connaissance de l’absence litigeuse invoquée.

Néanmoins, il convient d’attirer l’attention des employeurs sur le fait que l’absence injustifiée d’un salarié ne constitue pas automatiquement un fait ou une faute justifiant un licenciement avec effet immédiat du salarié, puisque sont à prendre en compte toutes les circonstances du licenciement (ex. avertissements antérieurs, ancienneté etc.) afin de déterminer si sa gravité est suffisante ou non.

Il convient également de préciser que si le salarié est, suite à une absence injustifiée, une nouvelle fois absent de manière injustifiée, le délai d’un mois recommence à courir à partir du jour au cours duquel l’employeur a eu connaissance de cette nouvelle absence. Dans ce cas, l’employeur pourra invoquer l’absence injustifiée antérieure (même si elle a eu lieu plus d’un mois avant la nouvelle absence injustifiée) à l’appui du licenciement qui serait prononcé à l’égard du salarié du fait de sa nouvelle absence injustifiée.

En conclusion, la Cour de cassation est finalement venue mettre un terme aux nombreuses interrogations en matière de détermination du point de départ du délai d’un mois légal en cas de licenciement immédiat pour absence injustifiée.

Considérant la prise de position de la Cour de cassation, lorsque l’employeur n’a pas eu connaissance de l’absence dès le premier jour, le fait d’initier la procédure de licenciement directement dans le mois suivant le premier jour d’absence injustifiée éviterait à l’employeur la charge, pouvant s’avérer délicate en fonction des situations, de rapporter la preuve de la date à laquelle il aurait pris connaissance des faits.

 

[1] Article L.124-10 (6) du Code du travail

[2] Article L. 121-6 du Code du travail :

« (1) Le salarié incapable de travailler pour cause de maladie ou d’accident est obligé, le jour même de l’empêchement, d’en avertir personnellement ou par personne interposée l’employeur ou le représentant de celui-ci. L’avertissement visé à l’alinéa qui précède peut être effectué oralement ou par écrit.

(2) Le troisième jour de son absence au plus tard, le salarié est obligé de soumettre à l’employeur un certificat médical attestant son incapacité de travail et sa durée prévisible. 

(3) L’employeur averti conformément au paragraphe (1) ou en possession du certificat médical visé au paragraphe (2) n’est pas autorisé, même pour motif grave, à notifier au salarié la résiliation de son contrat de travail, ou, le cas échéant, la convocation à l’entretien préalable visé à l’article L.124-2 pour une période de vingt-six semaines au plus à partir du jour de la survenance de l’incapacité de travail. »

[3] Cour d’appel, 27 juin 2019, n°CAL-2018-00893 du rôle et Cour d’appel du 17 janvier 2013, n°37074 du rôle.

[4] Cour d’appel, 20 janvier 2022, n°CAL-2021-00030 du rôle ; Cour d’appel, 22 décembre 2022, n° 00426 ; Cour d’appel, 25 avril 2019 du rôle, n° CAL-2018-00422 du rôle et  Cour d’appel, 17 novembre 2016, n° 42224 du rôle.

[5] Cour de cassation, 9 février 2023, n°CAS-2022-00063 du rôle.

[6] Le salarié avait remis plusieurs certificats d’incapacité, suite à quoi l’employeur l’avait licencié avec préavis le 14 juin 2019 pour absentéisme habituel. Le délais de préavis avait pris cours le 15 juin 2019 afin de se terminer le 14 décembre 2019. Le salarié, en congé maladie du 14 juin 2019 au 30 juin 2019 avait prolongé son absence, néanmoins sans fournir de justificatif à partir du 30 juin 2019, de sorte qu’il se trouvait en incapacité de travail injustifiée. L’employeur avait donc pris la décision de licencier le salarié avec effet immédiat le 9 octobre 2019 pour absence injustifiée prolongée.

[7] Article L. 124-10 (6) alinéas 1 et 2 du Code du travail :

[8] Conformément à l’article L. 124-10 (6) du Code du travail, dans le cas où l’employeur est soumis à l’obligation de convoquer le salarié à un entretien préalable au licenciement, la procédure de convocation à l’entretien préalable doit être initiée avant que le délai d’un mois pour invoquer la faute grave ne soit expiré.

[9] A titre d’exemple en cas d’incapacité de travail : au quatrième jour d’absence lorsque le salarié n’a pas dûment remis à son employeur au plus tard au troisième jour d’absence un certificat d’incapacité de travail attestant son incapacité ainsi que la durée prévisible de celle-ci.

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