• Einblicke

Critères de fixation du préjudice matériel en cas de licenciement abusif

Authors
Lucas Lefebvre
Senior Associate - Luxembourg
CASTEGNARO
Luxembourg
19.04.23
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  • Préjudice matériel : des principes légaux et jurisprudentiels clairement établis

Conformément aux dispositions de l’article L.124-12 (1) du Code du travail, le salarié licencié abusivement, peut prétendre à la réparation de ses préjudices matériel et moral.

D’une façon générale, le préjudice matériel est fixé en fonction d’une période de référence durant laquelle le salarié aurait normalement dû retrouver un emploi. Pour déterminer la durée d’une telle période, les juridictions du travail tiennent compte d’éléments très divers tels que la formation du salarié, son degré de spécialisation, la situation sur le marché de l’emploi et également et plus particulièrement de l’ancienneté et de l’âge du salarié licencié.

En matière de réparation du préjudice matériel subi par le salarié, les principes généraux de la responsabilité civile s’appliquent. Ainsi, si l’indemnisation du salarié, victime d’un licenciement abusif, doit être aussi complète que possible, seul le dommage qui se trouve en relation causale directe avec la faute commise par l’ancien employeur (i.e. le licenciement) est indemnisable.

A cet égard, les pertes subies ne sont à prendre en considération que pour autant qu’elles se rapportent à une époque qui aurait raisonnablement dû suffire pour permettre au salarié de trouver un nouvel emploi.

  • Fixation du préjudice matériel : une réparation soumise notamment aux efforts du salarié pour retrouver un emploi

Compte tenu des principes ci-avant évoqués, il appartient au salarié de minimiser son préjudice et de faire tous les efforts nécessaires pour trouver le plus tôt possible un emploi de remplacement.

A cet égard, le salarié « ne doit pas se borner à rechercher un emploi lui permettant d’exercer une fonction analogue à celle exercée auparavant ou se situant dans le même secteur d’activité, mais il doit rechercher activement dans tous les secteurs économiques, un emploi adapté à ses facultés de travail. »[1]

Par ailleurs, conformément à la jurisprudence constante, « Si l’indemnisation du salarié, victime d’un licenciement abusif, doit être aussi complète que possible, il n’en reste pas moins qu’un dommage matériel n’est réparé que si la perte économique est certaine »[2], de sorte que le préjudice matériel du salarié doit être réel et non pas hypothétique ou incertain.

Il appartient ainsi au tribunal de déterminer, sur base des éléments à sa disposition, et notamment des pièces versées par le salarié, si la cause du préjudice invoqué par le salarié est liée directement à son licenciement ou à son inaction.

Aussi, le salarié ne peut pas se contenter de rester inactif durant sa période de chômage. A cet égard, le salarié est obligé de fournir au tribunal des éléments de preuve permettant aux juridictions de déterminer avec certitude qu’il a effectué des démarches sérieuses et actives en vue de retrouver un nouvel emploi. Si le salarié ne produit pas ou très peu de preuve démontrant des démarches réelles et effectives pour retrouver un emploi pendant sa période de chômage, le tribunal ne lui allouera aucun montant, sinon un montant très faible, en réparation de son préjudice matériel et considérera que son préjudice n’est pas en lien de causalité direct avec son licenciement.

Les éléments de preuve fournit par les salariés peuvent être divers si bien qu’il serait fastidieux d’établir un catalogue des éléments pris en considération par les juridictions du travail.

De manière générale, les éléments produits par les salariés consistent surtout en la copie des candidatures adressées à leurs futurs potentiels employeurs (lettres de motivation, emails ou courriers) et, le cas échéant, de la réponse qui a été apportée à ces candidatures.

  • Fixation du préjudice matériel : incidence de l’âge du salarié dans la fixation du préjudice

Comme indiqué précédemment, l’indemnisation du préjudice matériel du salarié dépend de critères divers et variés.

Outre les recherches d’emploi effectuées par le salarié licencié, son âge au moment du licenciement est également un critère important pris en compte par les juridictions dans la fixation du préjudice matériel.

En effet, de nombreuses décisions ont retenu que, le principe ci-avant expliqué consistant à exiger du salarié qu’il fasse les efforts nécessaires pour trouver le plus rapidement possible un emploi équivalent ne peut cependant être appliqué tel quel et dans toute sa rigueur dans le cas d’un salarié proche de l’âge de la retraite.

Selon les juges du fond, « les chances ou perspectives de retrouver un nouvel emploi [pour cette catégorie sont] quasi-inexistantes, dès lors que la grande majorité des employeurs n’est pas disposée à offrir un emploi dans des conditions [équivalentes], qui plus est lorsque le salaire du demandeur d’emploi perçu antérieurement était conséquent.

En effet, il est constant que dans la pratique ou dans la réalité de la vie professionnelle, les salariés âgés situés très près de l’âge de la retraite sont en général dans l’impossibilité de retrouver un emploi non pas forcément parce qu’ils ne font pas les efforts nécessaires pour se réintégrer une dernière fois sur le marché du travail, mais plutôt en raison de la réticence des employeurs qui ne voient aucun intérêt à engager un salarié qui peut faire valoir ses droits à la retraite quelques mois plus tard après son embauche »[3].

Aussi, dans la mesure où l’indemnisation du salarié, victime d’un licenciement abusif, doit être aussi complète que possible, plusieurs décisions ont condamné l’employeur à dédommager la perte de revenus engendrée par le licenciement abusif en prenant en compte une période de référence calculée à partir de la fin du préavis jusqu’à l’âge de la retraite[4] du salarié licencié.

Selon les cas qui se présentent devant les juridictions du travail, le montant à verser par l’employeur peut donc s’avérer très onéreux !

A titre de préjudice matériel, un salarié âgé de 58 ans, qui s’est vu licencier après 25 ans d’ancienneté a obtenu 24 mois de salaire[5]. Un autre salarié âgé de 60 ans, avec une ancienneté de 36 ans, s’est vu allouer 36 mois de salaire en réparation de son préjudice matériel[6]. La Cour d’appel a même décidé d’accorder une période de référence de 36 mois pour un salarié âgé de 57 ans alors même que celui-ci avait retrouvé un emploi rapidement mais moins bien rémunéré[7].

Les conséquences financières d’un licenciement abusif d’un salarié très proche de l’âge de la retraite peuvent donc être hautement préjudiciable pour les employeurs, d’autant plus qu’au préjudice matériel s’ajoute généralement une indemnisation du préjudice moral pouvant également atteindre des montants très importants[8].

Néanmoins, ce raisonnement du tribunal, bien que basé sur des critères objectifs, n’est pas dépourvu de toutes critiques. En effet, s’il est certes vrai que les chômeurs considérés comme âgés peuvent être confrontés à des difficultés à réintégrer le marché de l’emploi, toujours est-il que les demandeurs d’emploi âgés ne doivent pas être considérés d’office comme dépourvus de toute valeur sur le marché de l’emploi. En outre, le raisonnement des juridictions pourrait contribuer aux difficultés qu’ont les seniors pour retrouver un nouvel emploi étant donné qu’un employeur pourrait être d’autant plus récalcitrant à embaucher ces salariés s’il sait qu’il ne pourra pas s’en séparer sans prendre le risque de leur verser une indemnisation substantielle. Par ailleurs, le législateur a prévu des aides à l’embauche des chômeurs âgés et des chômeurs de longue durée aux articles L.541-1 et suivants du Code du travail.

Ceci étant dit, rappelons que, même pour les seniors, le préjudice matériel doit être en relation causale directe avec le licenciement abusif. A cet égard, la Cour d’appel a eu récemment à se prononcer, dans un arrêt du 17 novembre 2022[9], sur la situation d’un salarié qui avait été licencié avec un préavis de six mois, à l’issue duquel il avait demandé à la Caisse Nationale d’Assurance Pension, quelques jours seulement après l’expiration de sa période de préavis, à être admis au bénéfice de l’allocation de vieillesse anticipée[10].

Selon la Cour d’appel, en optant immédiatement après son licenciement pour la pension de vieillesse anticipée, le salarié avait a été lui-même à l’origine des revenus moindres de sa pension de vieillesse anticipée.

En l’absence dès lors de relation causale directe entre le licenciement abusif et le préjudice matériel (i.e. avec les revenus moindres que ceux que le salarié percevait auprès de son ancien employeur), la demande du salarié en dommages-intérêts du chef de préjudice matériel a été déclarée comme non-fondée.

  • Fixation du préjudice matériel : incidence du revenu de remplacement perçu par le salarié durant la période de référence

Comme indiqué précédemment, l’indemnité réparatrice du préjudice matériel due au salarié doit correspondre à l’intégralité de la perte de revenus en lien causal avec le licenciement fautif.

Ainsi, si le licenciement est considéré comme abusif par le tribunal et que le salarié parvient à prouver avoir subi un préjudice en lien causal direct avec son licenciement, l’ensemble des revenus de remplacement perçu par le salarié, telles que les indemnités de chômage, seront en principe pris en compte par le tribunal, après avoir déterminer la période de référence, afin d’établir le montant exact à verser au salarié à titre de réparation de son préjudice matériel.

Par conséquent, les indemnités de chômage payées au salarié pendant la période de référence (ou tout autre revenu de remplacement) seront alors en principe déduites par le tribunal de l’évaluation du dommage matériel le cas échéant subi par le salarié.

[1] Cour d’appel, 16 février 1995, n°11945 du rôle ; Cour d’appel, 22 janvier 2009, n°32843 du rôle

[2] Cour d’appel, 10 juillet 2014, n°36968 du rôle

[3] Cour d’appel, 21 décembre 2017, n°45136 du rôle

[4] Le départ à la retraite, dans le cadre du régime général d’assurance pension, peut être demandé par les assurés qui ont atteint l’âge limite pour travailler (65 ans) ou qui ont cotisé suffisamment longtemps pour faire valoir leurs droits à la pension. En fonction de sa carrière d’assurance, l’assuré peut opter pour une pension de vieillesse ou une pension de vieillesse anticipée à partir de 57 ou de 60 ans.

[5] Cour d’appel, 3 juin 2015, n°39981 du rôle

[6] Cour d’appel, 3 décembre 2015, n°39574 du rôle

[7] Cour d’appel, 10 juillet 2014, n°38968 du rôle

[8] Une décision de la Cour d’appel en 2006 a pu allouer, par exemple, un montant de 35.000 euros à titre de réparation du préjudice moral du salarié ; une autre en 2015 a alloué un montant de 25.000 euros en sus d’une indemnisation du préjudice matériel fixé à 12 mois de salaire. (Cour d’appel, 7 décembre 2006, n°29627 et 29629 du rôle ; Cour d’appel, 26 mars 2015, n°39940 du rôle)

[9] Cour d’appel, 17 novembre 2022, n°CAL-2020-00881 du rôle

[10] Rappelons qu’en fonction de la carrière d’assurance et de l’âge, un assuré peut demander la pension de vieillesse anticipée à partir de 57 ou de 60 ans s’il dispose notamment d’un stage d’assurance de 40 années de périodes d’assurance obligatoire.

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