Depuis l’arrivée des réseaux sociaux, la frontière entre le domaine privé et le domaine public n’a jamais été aussi mince.
Une photo publiée sur un réseau social par un salarié alors que ce dernier est censé être en incapacité de travail peut avoir à ce titre de lourdes conséquences.
La troisième chambre de la Cour d’appel a ancré sa position sur cette problématique à l’occasion d’un arrêt rendu en date du 18 janvier 2024[1], position qui a ensuite été confirmée par un arrêt plus récent du 7 mars 2024[2].
Dans ces deux affaires, les salariés avaient été licenciés avec effet immédiat alors qu’il se trouvaient en incapacité de travail dûment établie par des certificats médicaux.
Dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel en date du 18 janvier 2024, le salarié avait publié sur son compte Instagram, durant son incapacité de travail, des photos de lui en maillot de bain, sur la plage, et « en train de faire la fête ».
Dans l’arrêt en date du 7 mars 2024, la salariée avait posté des photos d’elle sur le réseau social Facebook, également durant sa période d’incapacité de travail.
Dans les faits, les deux employeurs ont eu connaissance de ces publications, et ont considéré qu’au vu de ces photos, leur salarié ne se trouvait pas réellement en maladie et ne bénéficiait donc pas de la protection édictée à l’article L. 121-6 du Code du travail, lequel interdit le licenciement d’un salarié se trouvant en incapacité de travail dûment déclarée et médicalement établie.
Les deux employeurs ont donc considéré que les publications de leurs salariés respectifs sur les réseaux sociaux étaient de nature à renverser la présomption simple émanant des certificats d’incapacité de travail fournis par ces derniers, et permettaient de prouver que les salariés ne se trouvaient finalement pas en incapacité de travail, et n’étaient donc pas protégés contre le licenciement.
Dans chacune des affaires, en première instance, le Tribunal du travail avait déclaré les licenciements avec effet immédiat abusifs, pour avoir été notifiés en violation de la protection légale contre le licenciement dont bénéficiaient ces derniers.
Les employeurs ont donc respectivement fait appel de ces jugements considérant que leurs salariés auraient abusé de la protection édictée par l’article L. 121-6 du Code du travail, alors qu’ils n’étaient pas réellement malades.
Les photos publiées sur un réseau social (Facebook et Instagram) par un salarié en incapacité de travail sont-elles suffisantes pour renverser la présomption de son incapacité de travail et justifier un licenciement avec effet immédiat ?
Les dispositions légales prévoient que l’employeur averti conformément au paragraphe premier de l’article L. 121-6 du Code du travail ou en possession du certificat médical n’est pas autorisé, même pour motif grave, à notifier au salarié la résiliation de son contrat de travail[3].
Il convient de rappeler qu’un certificat médical d’incapacité de travail, en bonne et due forme, établit une présomption en faveur du salarié, en ce sens que, ledit certificat est présumé correspondre à la vérité.
Il appartient donc à l’employeur, ayant des doutes sur la réalité de la maladie de son salarié, de renverser cette présomption en apportant la preuve du contraire.
La justification de l’absence découlant de l’incapacité de travail du salarié peut être combattue par un faisceau d’indices, et la contre-preuve peut être apportée par tout moyen[4].
Dans le cadre de l’appréciation des deux appels interjetés, la Cour d’appel a relevé que les deux salariés avaient chacun dûment informés leurs employeurs respectifs de leurs incapacités de travail pour cause de maladie.
Par ailleurs, les deux employeurs, pour leur part, n’avaient pas contesté la réception des certificats médicaux dans les délais légaux. De leurs points de vue cependant, c’est la « réalité de la maladie » du salarié qui était contestable au vu des photographies publiées sur les réseaux sociaux.
La Cour d’appel n’a pas accueilli cette preuve de façon positive, en considérant pour chaque affaire que les photos publiées par les salariés sur Instagram et Facebook ne permettaient pas de renverser la présomption simple des certificats médicaux de ces derniers, et prouver qu’ils n’étaient pas réellement malades.
Dans les deux arrêts commentés, la Cour d’appel a considéré que les photos publiées sur les réseaux sociaux par les salariés ne constituaient pas la preuve du caractère fictif des incapacités de travail litigieuses. Partant, les photos versées par les employeurs ne sauraient renverser la présomption simple découlant des certificats d’incapacité de travail que les salariés leur avaient respectivement dûment transmis.
Dans l’arrêt du 18 janvier 2024, la Cour justifie sa décision par le fait que les photos n’étaient pas datées et que partant aucun des éléments versés par l’employeur ne prouvait que ces photos avaient été prises durant l’incapacité de travail du salarié.
La Cour, dans l’arrêt du 7 mars 2024, retient que « le fait d’avoir posté sur Facebook des photos tout à fait insignifiantes à cet égard, ne constituent [pas] la preuve du caractère fictif de l’incapacité de travail litigieuse. »
La Cour a donc considéré chacun des licenciements avec effet immédiat comme étant abusif, pour être intervenu en période de protection des salariés.
Il convient, à la lecture de ces deux arrêts, de souligner que la Cour ne conteste pas la validité des photos apportées par les employeurs en tant que preuve, mais se borne seulement à relever que, dans ces deux cas d’espèces, les photos produites n’étaient pas suffisantes pour renverser la présomption des certificats d’incapacité des salariés, soit en raison du fait de leur caractère insignifiant, soit du fait qu’elles n’étaient pas datées.
Au regard de ces décisions, des publications non datées rendues publiques sur des réseaux sociaux tel que Instagram ou Facebook ne pourraient être utilisées comme élément de preuve pour renverser la présomption simple découlant d’un certificat d’incapacité de travail, et donc permettre et justifier par la suite un potentiel licenciement.
Un employeur, face à cette problématique, devra donc être attentif aux preuves qu’il entend apporter (notamment des photos) dans le but de renverser la présomption découlant du certificat d’incapacité de travail, ces preuves devant prouver que le salarié, durant son incapacité de travail, se trouvait finalement apte.
Pour cela, il conviendrait d’apporter des photos localisées, datées, en lien direct avec l’incapacité du salarié, ce qui permettrait de prouver de manière irréfutable que le salarié n’était finalement pas, à la période couverte, en incapacité de travail.
[1] Cour d’appel, 18 janvier 2024, n° CAL-2022-00998 du rôle
[2] Cour d’appel, 7 mars 2024, n° CAL-2022-00945 du rôle
[3] Article L. 121-6 du Code du travail
[4] Cour d’appel, 26 juin 2014, n°39751 du rôle