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Négligences du salarié dans le cadre d’un transfert de fonds frauduleux : licenciement justifié ?

19.04.23
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Dans un arrêt récent, rendu le 27 octobre d’appel 2022[1], la Cour d’appel a eu à se prononcer sur la question de la régularité d’un licenciement intervenu à l’encontre d’un salarié d’une banque pour des faits de négligences dans le cadre d’un transfert de fonds frauduleux au détriment d’un client.

Le contexte était le suivant :

Début février 2019, un salarié travaillant auprès d’une banque depuis un peu plus de 20 ans  a fait l’objet d’un licenciement avec préavis.

A l’appui du licenciement, l’employeur reprochait au salarié :

  • d’avoir commis de graves négligences dans le traitement d’un ordre de virement permettant une fraude à hauteur de 1.823.010.-EUR au détriment d’un client de la banque ;
  • de ne pas avoir respecté la procédure interne en vigueur face à cette demande manifestement inhabituelle et consistant à obtenir une confirmation de l’instruction par le biais d’un mode de communication distinct (contre-appel);
  • d’avoir, à peine quelques jours plus tard, été à nouveau en discussion avec le fraudeur et prêt à exécuter deux ordres de transfert portant cette fois sur un montant total de près de 6 millions d’euros ;
  • l’atteinte à la réputation causée suite à son attitude fautive.

Le salarié, pour tenter de se dédouaner des fautes lui reprochées, quant à lui, fait valoir les arguments suivants :

  • il s’est conformé aux procédures alors en vigueur au sein du département auprès duquel il était affecté ;
  • il aurait correctement rempli sa fonction qui consistait uniquement à vérifier l’instruction de transfert de fonds lui soumise et à l’encoder ;
  • sa hiérarchie, qui seule pouvait valider le transfert de fonds litigieux est l’unique responsable de la fraude ;
  • son parcours professionnel était exemplaire ;
  • les manquements reprochés constituaient un fait unique ne justifiant pas un licenciement.

La Cour d’appel, pour décider du caractère justifié du licenciement, et après avoir rappelé que le salarié occupait au moment des faits le poste de « Client Relationship Manager » depuis plus de cinq ans, s’est ralliée à la « motivation complète et détaillée » des juges de première instance suivant laquelle « l’instruction en cause (…) aurait dû être considérée par [le salarié] comme une instruction à caractère inhabituel et partant faire l’objet d’une confirmation par un mode de communication distinct de celui par lequel l’instruction avait été reçue. »

Elle a estimé que : « En dépit de ces circonstances, caractéristiques d’une demande de transfert manifestement inhabituelle, [le salarié] s’est contenté d’encoder l’instruction sans demander aucune confirmation par un mode de communication distinct ni signaler l’instruction en cause à sa hiérarchie.

Cette façon de procéder, contraire non seulement aux consignes et directives de l’employeur, mais aussi à la prudence la plus élémentaire à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un bon père de famille, a engendré des conséquences dommageables considérables pour [la Banque] et constitue, à elle seule, un motif réel et sérieux de licenciement. (…)

C’est en vain que [le salarié] met en avant qu’un autre membre du personnel devait valider l’instruction encodée, cette circonstance n’étant pas de nature à décharger l’appelant de ses obligations outre que la personne qui, en l’occurrence, a validé l’instruction en cause a pareillement fait l’objet d’un licenciement, et cela le même jour que [le salarié].

A cela s’ajoute que le 16 janvier 2019, [le salarié], loin de demander la confirmation par une autre voie de communication, d’une nouvelle instruction tout aussi inhabituelle, portant sur des montants encore plus importants ou de signaler celle-ci à sa hiérarchie, s’est contenté de demander une confirmation à l’auteur de l’instruction, par la même voie de communication, à savoir par échange de courriels, en le rendant, de surcroît, attentif à une suspicion de fraude signalée (…) ».

La Cour, pour apprécier le caractère inhabituel de l’instruction, a renvoyé à un faisceau d’éléments, à savoir :

  • « le montant considérable en cause, 1.823.010 euros »,
  • « la circonstance que l’instruction était adressée principalement au suppléant [du salarié alors que ce dernier était le point de contact principal du client] »,
  • « [l’instruction] portait sur deux transferts à effectuer »,
  • « l’absence d’indication du numéro de compte IBAN du bénéficiaire du virement à effectuer »,
  • « le bénéficiaire était une entité tierce, roumaine, inconnue de la Banque, alors que le compte à débiter servait généralement, depuis plusieurs années, à approvisionner d’autres comptes [du client] »,
  • « les documents intitulés factures, produits sur demande [du salarié], sont libellés de façon excessivement sommaire et insolite (« services professionnels ») outre qu’ils ne contiennent pas la moindre mention quant à la TVA applicable et ne renseignent aucun numéro d’identification TVA. »    

La sévérité de la Cour à la mesure des circonstances particulières ayant entouré le licenciement :

Il est important de rappeler que, pour être de nature à justifier un licenciement avec préavis, le motif invoqué à la base de ce dernier doit être sérieux, à savoir d’une gravité suffisante, et le licenciement devra constituer une sanction proportionnée à la faute reprochée au salarié.

En considérant ledit principe de proportionnalité, il est raisonnablement permis de noter la sévérité d’une telle décision, notamment face à un fait unique commis par un salarié dont le parcours professionnel était pourtant exempt de tout reproche antérieur.

Il est d’autant plus étonnant de remarquer que la Cour a pris la liberté de procéder à une appréciation au-delà de ce qui lui était demandé, en confirmant que c’était à juste titre que le tribunal du travail avait pu considérer que la faute reprochée au salarié « était d’une gravité telle qu’elle eût été suffisante pour justifier un licenciement avec effet immédiat ».

A la lecture de la motivation de l’arrêt, il est évident que les deux éléments qui ont convaincu les juges sont, d’une part, la grande expérience dont disposait le salarié dans le cadre des fonctions qu’il occupait et, d’autre part, le montant important du transfert de fonds litigieux intervenu au préjudice du client et de la banque.

A noter que ce n’est pas la première fois que les juridictions du travail font preuve d’une certaine sévérité face à des salariés expérimentés et notamment dans le domaine de la finance.[2]

Les conclusions et enseignements que nous pouvons tirer de la décision de la Cour :

L’arrêt rendu par la Cour d’appel rappelle d’une part aux banques employeuses, l’importance toute particulière qu’elle doivent accorder à la mise en place et au suivi périodique de conformité de leurs procédures internes en matière de transfert de fonds.

D’autre part, suite à l’arrêt rendu par la Cour, il serait conseillé de renforcer les contrôles internes et de veiller à régulièrement rendre les salariés attentifs à l’importance accordée au respect scrupuleux de leur part des procédures internes applicables en matière de transfert de fonds, mais également de l’exigence de vigilance et de prudence dans le domaine, en les enjoignant notamment de remonter à leur hiérarchie toute demande leur paraissant suspecte, sous peine de s’exposer à un licenciement.

La Cour a en effet rappelé, dans son arrêt, les obligations du salarié en la matière, tenant au  respect des consignes et directives de l’employeur et de manière plus générale à l’exécution des tâches lui assignées en bon professionnel et notamment avec la «prudence la plus élémentaire à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un bon père de famille ».

Il ne saurait pourtant être permis de déduire de l’arrêt rendu par la Cour que la négligence dans le cadre du traitement d’un ordre de virement pourra forcément justifier un licenciement et ce même en présence d’un salarié disposant d’une certaine expérience.

Les tribunaux procèderont à une appréciation au cas par cas.

Sachant qu’il reste toujours l’option pour l’employeur, en cas de la violation manifeste de la part d’un salarié de ses obligations élémentaires dans le cadre de la gestion d’une instruction et en fonction des circonstances ayant entouré cette dernière, de la mise en jeu de la responsabilité de ce dernier sur base des dispositions prévues par l’article L.121-9 du Code du travail et suivant lequel « [le] salarié supporte les dégâts causés par ses actes volontaires ou par sa négligence grave. ».

Tout en précisant que les juridictions du travail font preuve, dans le cadre d’une telle action,  d’une appréciation très restrictive en retenant que la négligence grave du salarié doit être équipollente au dol.

[1] CSJ, 27 octobre 2022, n°CAL-2021-00270 du rôle.

[2] A titre d’exemple: CSJ, 13 octobre 2016, n°42395 du rôle.

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