• Insights

Absence d’examen médical d’embauche : quels risques pour l’employeur ?

Authors
Perrine Gadrois
Junior Associate - Luxembourg
CASTEGNARO
Ariane Claverie
Partner - Luxembourg
CASTEGNARO
Luxembourg
19.04.23
5

Toute personne nouvellement embauchée est soumise en vue de son embauche à un examen médical effectué par le médecin du travail[1]. C’est à l’employeur que revient l’obligation d’organiser une visite médicale d’embauche lors du recrutement d’un salarié, cette exigence découlant de son devoir d’assurer la sécurité et la santé de l’ensemble de ses salariés[2].

Le défaut pour l’employeur de faire convoquer son salarié auprès du médecin du travail a des conséquences, non seulement pour le salarié, dont l’aptitude au poste n’est pas vérifiée, mais également pour l’employeur[3].

Par un arrêt du 5 janvier 2023[4], la Cour d’appel vient préciser les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de l’employeur.

Un salarié était au service de son employeur en qualité d’agent de sécurité, sans qu’aucun examen médical d’embauche n’ait été effectué. Suite à une incapacité de travail de longue durée, le contrôle médical de la sécurité sociale[5] a saisi la Commission mixte de reclassement des travailleurs incapables à exercer leur dernier poste[6] (ci-après la « Commission mixte ») en vue de se prononcer sur la capacité du salarié à occuper son dernier poste de travail.

Le médecin du travail a déclaré inapte le salarié à occuper son dernier poste de travail. La Commission mixte a ensuite refusé le reclassement interne ou externe du salarié, aux motifs que ce dernier occupait son dernier poste depuis moins de trois ans et n’était pas en possession d’un certificat médical d’aptitude d’embauche.

En effet, les salariés occupant leur dernier poste depuis moins de trois ans ne sont éligibles pour le reclassement professionnel que sous condition qu’ils soient en possession d’un certificat d’aptitude au poste de travail, établi par le médecin du travail compétent lors de l’embauche à ce dernier poste de travail[7].

  • L’examen médical d’embauche : une obligation pesant sur l’employeur

L’obligation pour l’employeur de procéder à un examen médical d’embauche et de s’assurer qu’il est apte au travail ne souffre d’aucune exception.

Mais de quel type d’obligation s’agit-il ? S’agit-il d’une obligation de résultat ou bien finalement serait-elle uniquement de moyens ?

Lorsqu’on parle d’obligation de résultat, la personne qui s’est engagée doit obligatoirement atteindre le résultat escompté, elle n’a pas d’autres choix. Quant à l’obligation de moyens, la personne engagée devra simplement tout mettre en œuvre afin d’atteindre ce résultat, mais si elle n’y arrive pas, il ne lui en sera pas tenu rigueur.

C’était là un des arguments principaux du salarié, ce dernier invoquant que l’employeur n’avait pas respecté son obligation à cet égard, obligation qui, selon lui, serait de résultat.

Pour appuyer ses arguments, le salarié invoquait plusieurs jurisprudences françaises où il avait été jugé que le non-respect de l’obligation selon laquelle le salarié bénéficie d’un examen médical avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai par le médecin du travail, dont la finalité préventive s’inscrit dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat, cause nécessairement un préjudice au salarié, qu’il appartient au juge, saisi d’une demande en ce sens, de réparer[8].

La juridiction luxembourgeoise a également statué en ce sens et a jugé le 21 juin 2011 que l’obligation qui pèse sur l’employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise constitue une obligation de résultat. Admettre qu’il ne s’agirait que d’une obligation de moyens à charge de l’employeur aboutirait à vider cette obligation de tout sens et de tout effet[9].

Cet argument était néanmoins fermement contesté par l’employeur. Pour lui, son obligation n’aurait été qu’une obligation de moyens.

Cependant, la Cour d’appel rappelle que l’obligation pesant sur l’employeur, selon laquelle il doit assurer la sécurité et la santé de l’ensemble de ses salariés, était une obligation de résultat.

L’employeur ayant en son chef une obligation de résultat d’organiser un examen médical pour chacun de ses salariés, que se passe-t-il s’il ne respecte pas cette obligation ?

L’employeur, afin d’être exonéré de sa responsabilité, avançait que ce manquement n’était pas de son fait mais de celui de l’Etat, le Service de santé multisectoriel n’ayant pas réservé un nombre suffisant de rendez-vous lui permettant de soumettre toutes ses nouvelles recrues à un examen médical. La faute de l’Etat l’aurait donc empêché de remplir correctement son obligation.

Cependant, la Cour d’appel a considéré que l’employeur n’apportait aucune preuve des éventuelles démarches afin d’assurer le respect de ses obligations. Il était donc malvenu d’invoquer la faute de l’Etat, n’ayant pas lui-même effectué les démarches nécessaires.

  • Quelles sanctions pour l’employeur ?

Le salarié considérait qu’il n’avait pas pu bénéficier d’un reclassement de la part de la Commission mixte au motif qu’il n’était pas en possession d’un certificat d’aptitude au poste de travail établi par le médecin du travail compétent lors de l’embauche.

Il avançait en conséquence avoir subi une perte de chance de pouvoir bénéficier d’un reclassement de la part de la Commission mixte et ce, par la faute de l’employeur.

Cependant, pour la Cour d’appel, le degré de probabilité du salarié d’obtenir une décision de reclassement s’il avait disposé d’un certificat d’aptitude, n’était pas suffisant pour établir un lien direct entre l’omission de l’employeur et le refus de la Commission mixte de reclasser le salarié.

Le salarié n’a donc pas établi qu’il aurait eu une chance réelle et sérieuse de bénéficier d’une décision de reclassement, si l’employeur lui avait fait passer l’examen médical d’embauche.

En conclusion, l’employeur a certes manqué à son obligation relative à l’examen médical d’embauche. Cela n’est cependant pas suffisant, selon la Cour d’appel, afin d’engager la responsabilité de l’employeur, cette faute n’ayant pas de lien direct avec le préjudice subi par le salarié.

Même si l’employeur n’est pas directement responsable d’une éventuelle perte de chance du salarié quant à un reclassement professionnel, il n’en reste pas moins que, en tant que responsable de la santé et sécurité sur le lieu de travail, il lui revient d’organiser pour chaque salarié un examen médical d’embauche.

[1] Article L. 326-1 du Code du travail.

[2] Article L. 326-1 du Code du travail.

[3] Article L. 327-2 du Code du travail : L’employeur ne respectant pas cette obligation encourt une peine d’emprisonnement de 8 jours à 6 mois et une amende de 251 à 25.000 euros, ou l’une de ces peines seulement.

Article 36 Code pénal : En matière correctionnelle, le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au double de celui prévu à l’égard des personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction.

[4] Cour d’appel, 5 janvier 2023, numéro CAL-2020-00862 du rôle.

[5] Le contrôle médical de la Sécurité sociale a plusieurs missions :

  • la constatation de l’incapacité de travail et, le cas échéant, la fixation de son degré provisoire ou définitif par rapport à la capacité de travail normale ;
  • la vérification et le contrôle périodique des maladies ou infirmités donnant droit à des indemnités ou subventions ;
  • les avis et examens médicaux en vue de l’octroi des cartes de priorité et d’invalidité.

[6] La Commission mixte a pour mission de décider le reclassement interne ou externe des travailleurs.

[7] Article L.551-1 du Code du travail.

[8] Cour de cassation française, 5 octobre 2010, n° 09-40913.

[9] Cour d’appel, 21 juin 2011.

en_GB