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Sorties d’ordre privé durant un arrêt maladie : faute grave ?

Authors
Perrine Gadrois
Junior Associate - Luxembourg
CASTEGNARO
Luxembourg
18.09.23
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Les statuts de la Caisse Nationale de Santé (ci-après « CNS ») posent deux interdictions fondamentales à respecter pour le salarié se trouvant en arrêt maladie[1] :

  • Durant une période d’incapacité de travail, aucune sortie n’est permise durant les cinq premiers jours, et ce même si elles sont autorisées par le médecin ;
  • Le salarié n’a pas le droit de sortir du pays de séjour où il est domicilié ou affilié pendant sa période d’incapacité de travail.

Le salarié a également l’obligation, à partir du 6ème jour de son incapacité de travail, de respecter les horaires pour sortir de son domicile. Les sorties sont en effet autorisées entre 10h et 12h, et 14h et 18h. En dehors de ces heures fixées, le salarié a l’obligation de se trouver à son domicile en cas de contrôle.

Par un arrêt du 6 juillet 2023[2], la Cour d’Appel est venue confirmer la possibilité pour un employeur de sanctionner par un licenciement avec effet immédiat le salarié qui ne respecte pas ces dispositions.

Dans cette affaire, un salarié était au service de son employeur, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, depuis le 1er décembre 1995, et s’est trouvé en incapacité de travail du 18 décembre 2019 au 3 avril 2020. Les sorties n’étaient pas médicalement contre-indiquées durant cette période.

Par courrier recommandé en date du 20 avril 2020, l’employeur a notifié au salarié son licenciement avec effet immédiat, aux motifs que ce dernier a, pendant ses absences pour maladie, méconnu ses obligations découlant des statuts de la CNS, et ce à trois reprises.

En effet, le salarié avait participé, lors de son 4e jour d’incapacité de travail, à la journée de commémoration du 21 décembre 2019, en tant que porteur de drapeau et, le 25 janvier 2020, à un carnaval se déroulant en Allemagne (à deux heures et demi de son domicile), pays étranger à celui auquel il était affilié.

Enfin, lors d’une visite de contrôle du 21 février 2020 à 19h30, le salarié ne se trouvait pas à son domicile, contrairement à son obligation d’être présent à partir de 18h00[3].

L’employeur a donc procédé au licenciement avec effet immédiat du salarié le 20 avril 2020, aux motifs que ce dernier avait manqué à ses différentes obligations découlant des statuts de la CNS relatives au régime de sorties du salarié malade.

Suite à la réception de sa lettre de licenciement, le salarié a contesté le bien-fondé de son licenciement devant le tribunal du travail.

En première instance, le tribunal du travail a déclaré le licenciement avec effet immédiat du salarié abusif. Les juges ont notamment considéré que « les faits isolés reprochés à l’intimé ne relèvent pas le caractère de gravité suffisant pour justifier un licenciement avec effet immédiat au regard de l’ancienneté de service du salarié, et en absence d’avertissements. »

L’employeur a donc fait appel de ce jugement en considérant que le salarié n’avait pas respecté les dispositions des statuts de la CNS, et aurait violé son obligation de loyauté et de bonne foi découlant de son contrat de travail.

Les sorties à titre privé d’un salarié pendant ses absences pour maladie sont-elles suffisamment graves pour justifier un licenciement avec effet immédiat ?

Dans l’arrêt commenté, la Cour d’appel a estimé que « les trois sorties reprochées au salarié, pendant ses arrêts de maladie, constituent une cause sérieuse revêtant une gravité certaine rendant impossible, sans dommage pour l’entreprise, la continuation des relations de travail, le maintien de la relation de travail étant irrémédiablement compromise et la confiance réciproque indispensable entre l’employeur et le salarié étant définitivement rompue ».

La Cour a donc considéré que la violation des statuts de la CNS pouvait constituer un motif de licenciement, car en lien avec la conduite du salarié.

Dans les faits, le salarié a violé les trois interdictions fondamentales posées par les statuts de la CNS, selon lesquelles aucune sortie n’est permise durant les 5 premiers jours de l’incapacité de travail[4], les séjours à l’étranger doivent avoir été préalablement autorisés par la CNS[5] et les sorties peuvent être effectuées entre 10h et 12h, et 14h et 18h[6] à partir du 6ème jour de l’incapacité de travail.

De ces violations en ont découlées de lourdes conséquences, qui ont, selon la Cour, rendu impossible le maintien de la relation de travail avec l’employeur.

En effet, cette dernière a fait droit aux arguments de l’employeur selon lesquels le comportement du salarié aurait constitué une violation de son obligation d’exécution de bonne foi de son contrat de travail, mais aussi de son obligation de loyauté envers l’employeur.

Le salarié aurait en effet grandement manqué à son obligation de loyauté envers son employeur, son comportement traduisant, pour la Cour, un réel manque d’engagement et de motivation pour les intérêts du service dans lequel il était affecté, ceci affectant l’image de l’Etat, notamment en raison de la publication sur les réseaux sociaux de ses sorties privées.

Son comportement aurait également démotivé ses collègues de travail, qui auraient mal vécu le comportement du salarié affiché publiquement sur les réseaux sociaux. En effet, la Cour considère que les sorties du salarié ont constitué un affront pour ses collègues de travail.

Dans l’appréciation des faits reprochés ayant conduit au licenciement avec effet immédiat d’un salarié, les juges tiennent généralement compte notamment des antécédents professionnels de ce dernier, ainsi que de son ancienneté.

Dans les faits, le salarié avait déjà été sanctionné par un avertissement de la part de l’Etat le 21 mars 2000, où un rappel à l’ordre concernant la Convention collective des salariés de l’Etat avait été effectué.

En revanche, la Cour considère que l’Etat n’avait aucune obligation de sanctionner le comportement du salarié par un avertissement préalable au licenciement.

Par conséquent, même si le salarié n’avait jamais été sanctionné auparavant et n’avait eu aucun avertissement à son actif, le licenciement aurait tout de même été déclaré comme justifié par la Cour.

Le fait que le salarié ait eu 25 ans d’ancienneté, qu’il n’ait reçu qu’un seul avertissement dans le passé et que son état de santé mentale soit précaire en raison d’un stress post-traumatique de type dépressif chronique n’a eu aucune incidence sur l’interprétation des faits par la Cour d’appel, cette dernière considérant que tout cela n’excusait en rien le comportement du salarié pendant ses arrêts maladies.

A ce titre, la Cour d’appel a jugé que « même avec une ancienneté de 25 ans, les abus commis pendant les arrêts de travail ne sauraient dépasser un certain seuil de tolérance ».

Au regard de cette décision, un salarié en incapacité de travail pourra donc se faire licencier pour faute grave, le cas échéant, s’il ne respecte pas les restrictions de sorties imposées par les statuts de la CNS, et ce même s’il justifie d’une ancienneté conséquente au sein de l’entreprise.

La sévérité de la Cour dans cette décision pourrait peut-être s’expliquer par le fait que l’employeur du salarié était l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.

En effet, la motivation de l’arrêt souligne l’atteinte aux intérêts et à l’image du service qui résulte de la publicité du comportement du salarié.

Il n’est cependant pas certain que la Cour fasse systématiquement preuve à l’avenir d’une telle sévérité, notamment s’il s’agit d’un cas isolé de violation des restrictions de sortie imposées par la sécurité sociale. Cet arrêt présente toutefois un intérêt certain pour apprécier la portée du pouvoir disciplinaire de l’employeur à cet égard.

[1] Articles 200 et 203 des statuts de la CNS.

[2] Cour d’Appel, 6 juillet 2023, numéro CAL-2022-00480 du rôle.

[3] Article 200 des statuts de la CNS.

[4] Article 200.a) des statuts de la CNS

[5] Article 203 des statuts de la CNS

[6] Article 200.b) des Statuts de la CNS

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