Au Luxembourg, une salariée enceinte est protégée contre tout licenciement à partir de la constatation médicale de sa grossesse et jusqu’à douze semaines après l’accouchement[1] [2].
La Cour d’appel de Luxembourg a eu l’occasion de rappeler qu’il pouvait y avoir des exceptions à cette protection, dans une affaire récente[3].
Dans cette affaire, une salariée avait informé son employeur qu’elle était enceinte et lui avait remis un certificat médical daté du 23 juillet 2021constatant son état de grossesse. La salariée avait demandé à bénéficier d’un congé parental de 6 mois. Par courrier du 5 octobre 2021, l’employeur avait refusé sa demande au motif que « the Company is expected to cease activity on 31 décembre 2021. It is for this reason unfortunately that we are not in a position to grant you this request. » (la société devrait cesser ses activités le 31 décembre 2021. C’est pour cette raison que nous ne sommes malheureusement pas en mesure de vous accorder cette demande.)
Par courrier du 27 octobre 2021, la salariée enceinte avait été licenciée moyennant un préavis de 2 mois avec effet au 31 décembre 2021 au motif de la cessation d’activité de son employeur.
Suite à la réception de sa lettre de licenciement, la salariée a demandé au tribunal du travail de déclarer nul et de nul effet le licenciement prononcé à son encontre et d’ordonner son maintien, sinon sa réintégration dans ses fonctions.
Le 21 décembre 2021, le tribunal du travail a déclaré la demande de la salariée non fondée. Ce dernier a retenu « que l’employeur avait tout entrepris en vue de la cessation de son activité au 31 décembre 2021 et que la décision de cesser son activité relève de la liberté de l’employeur, auquel on ne saurait imposer l’obligation de continuer son entreprise dans le seul intérêt d’une salariée en état de grossesse. »
La Cour d’appel a confirmé la décision du tribunal du travail. Suite à cette décision, la salariée a saisi la Cour de cassation de Luxembourg qui a cassé et annulé l’ordonnance rendue par la Cour d’appel compte tenu du fait que cette dernière n’avait pas répondu aux arguments de la demanderesse qui « avait fait valoir que la décision de la licencier constituait « un abus de droit caractérisé car ce n’est qu’à partir de l’annonce de la grossesse que l’employeur a pris la décision de fermer ses activités » » et au fait « de ne pas maintenir son contrat de travail pendant la durée de son congé de maternité, alors même que la clôture de la liquidation de la société interviendra nécessairement plusieurs mois après la mise en liquidation de la société».
Suite à cette cassation, l’affaire a, de nouveau, été jugée par la Cour d’appel.
Dans une telle situation, se pose la question de savoir quel intérêt prime entre deux intérêts contraires, celui de protéger contre le licenciement une femme dont la grossesse est médicalement constatée et celui de la liberté de l’employeur de cesser son activité.
La Cour d’appel 1) a rappelé que la protection des « personnes enceintes, accouchées et allaitantes », est inapplicable en cas de cessation volontaire totale de l’activité de l’employeur et (2) a jugé que la décision de l’employeur de cesser son activité au Luxembourg n’était pas constitutive d’un abus de droit caractérisé.
La Cour d’appel a jugé que « Tel que relevé à bon droit par le magistrat de première instance, il est de jurisprudence constante que la protection édictée par l’article L.337-1 précité du Code du travail est inapplicable dans l’hypothèse de la cessation volontaire totale de l’activité de l’employeur. ».
La Cour a précisé que le fait « d’obliger un employeur à maintenir son activité en raison d’une salariée en état de grossesse et dans l’intérêt exclusif de cette dernière mettrait des restrictions inadmissibles à la faculté de l’employeur de pouvoir, sauf abus de droit caractérisé, (…), décider de l’avenir de son entreprise. ».
Dans cet arrêt, la Cour d’appel a également précisé qu’il était possible de notifier un licenciement dont le préavis se terminait au jour où la société n’avait plus d’activité commerciale (en l’espèce le 31 décembre 2021), et ce même si le congé de maternité n’était alors pas terminé et que la clôture de la liquidation et la radiation au registre de commerce et des sociétés intervenaient plus tard (en l’espèce respectivement les 29 novembre 2021 et 16 mars 2022).
Il ressort clairement de cet arrêt que le droit de l’employeur de cesser ses activités prime sur le droit d’une salariée enceinte d’être maintenue dans son emploi. En effet obliger un employeur à maintenir son activité du fait de l’état de grossesse d’une salariée, et dans l’intérêt exclusif de cette dernière, constituerait une restriction à la faculté de l’employeur de pouvoir, sauf abus de droit caractérisé, décider de l’avenir de son entreprise.
La Cour d’appel a vérifié la réalité de la cessation définitive de l’activité de l’employeur et l’absence d’abus de droit de ce dernier quant à sa décision de cesser son activité.
Les éléments de preuve suivants, rapportés par l’employeur, ont permis à la Cour d’appel de constater que la décision de l’employeur de cesser définitivement son activité avait été prise avant l’annonce de la grossesse de la salariée, que les activités cessaient effectivement, et qu’aucun abus de droit n’était caractérisé :
En conclusion, cet arrêt de la Cour d’appel nous rappelle que les dispositions protectrices contre le licenciement des femmes enceintes ne s’appliquent pas en cas de cessation volontaire totale de l’activité de l’employeur, sauf abus de droit caractérisé de la part de ce dernier et qu’il est important de formaliser par écrit et garder trace de la décision de la cessation volontaire totale de l’activité de l’employeur, ainsi que de l’ensemble des démarches effectuées y relatives. Par ailleurs, cette affaire interroge sur les conditions éventuelles dans lesquelles une cessation d’activité qui serait décidée après l’annonce de la grossesse d’une salariée pourrait le cas échéant constituer un abus de droit.
[1] Article L. 337-1 du Code du travail
[2] Dans l’hypothèse où elle devait recevoir un courrier de licenciement ou de convocation à l’entretien préalable avant d’avoir pu informer son employeur de son état de grossesse, la salariée pourrait encore lui communiquer un certificat médical constatant sa grossesse par lettre recommandée dans les huit jours du licenciement. Dans ce cas, le licenciement devient nul et sans effet. Nous rappelons que l’employeur qui occupe 150 salariés au moins envisage de licencier un salarié, il doit, avant toute décision, convoquer l’intéressé à un entretien préalable (article L. 124-2 du Code du travail).
[3] Cour d’appel, 23 juin 2023, CAL-2022-00121du rôle