Parmi les dilemmes auxquels sont confrontés les employeurs, voici un cas qu’il est fréquent de rencontrer : un employeur peut-il licencier un salarié pour un seul fait fautif ? Le cas échéant, ce fait fautif permet-il de rendre le salarié responsable des dommages causés à l’employeur ?
La Cour d’appel de Luxembourg a répondu à ces questions dans une affaire récente[1]. En l’espèce, un salarié, travaillant sur le tarmac, cause un accident en déplaçant un tracteur élévateur de 15 tonnes pour récupérer son chariot élévateur de 3 tonnes. Ce salarié n’avait ni la formation, ni l’autorisation pour conduire ce tracteur. À la suite de l’accident, l’employeur licencie le salarié avec effet immédiat.
Le tribunal du travail a jugé ce licenciement abusif, notant que le salarié avait six ans d’ancienneté et n’avait jamais fait l’objet d’avertissement. L’employeur a alors fait appel, insistant sur le fait qu’il doit assurer la sécurité et la santé de ses salariés sur le lieu de travail. Un fait unique peut selon lui justifier un licenciement immédiat s’il est grave. En l’occurrence, il s’appuie sur les risques de manœuvre liés à de tels engins. L’employeur a donc maintenu sa position, y compris une demande de remboursement pour les dégâts causés au véhicule de service.
Le salarié a quant à lui soutenu que l’accident n’était pas une faute grave et qu’il résultait d’une politique d’entreprise risquée. Il a affirmé que les chauffeurs étaient souvent incités à utiliser des machines sans avoir les formations nécessaires, et que cette pratique était connue et encouragée par la hiérarchie.
Cela n’a pas suffi à convaincre la Cour d’Appel qui a apprécié les faits à la lumière du contexte.
La Cour d’appel a de fait confirmé qu’un seul fait fautif peut justifier un licenciement immédiat s’il est suffisamment grave. La Cour d’appel a rappelé que les juges doivent apprécier les faits au cas par cas, en tenant compte de l’ancienneté du salarié, de son passif disciplinaire, des instructions de l’employeur, de la situation sociale et des conséquences liées au licenciement.
Dans cette affaire, la Cour d’appel a estimé que le salarié avait commis une faute grave en ne respectant pas les consignes de sécurité, causant des dommages importants et potentiellement graves.
Elle précise d’ailleurs que les faits reprochés ne sont pas contestés par le salarié. Le courrier de contestation de ce dernier confirme cette lecture : « Comme tous mes collègues étaient absents, mon impatience a pris le dessus et je me suis permis de déplacer le tracteur 15 tonnes. (…) Je savais que je n’avais pas le permis et que je ne devais en aucun cas toucher cette machine. J’ai tout simplement voulu faire mon travail rapidement (…) ».
La Cour d’appel rappelle également dans cet arrêt que l’employeur supporte les risques engendrés par l’activité de l’entreprise. Un salarié n’est responsable des dommages causés à son employeur que s’il a commis une faute intentionnelle, une faute lourde ou une négligence grossière, conformément au Code du Travail[2].
Dans ce cas précis, l’accident n’était pas intentionnel. Le salarié n’a donc pas été condamné à rembourser les dégâts causé au véhicule d’une société tierce.
Au-delà de ces éléments, cet arrêt souligne qu’il est important pour les employeurs d’édicter des règles relatives à la santé et à la sécurité, de les respecter mais également de les faire respecter par l’ensemble des collaborateurs afin d’assurer la santé et la sécurité de tous. A défaut pour les collaborateurs de respecter ces règles, il lui appartient de prendre l’ensemble des mesures nécessaires, pouvant aller jusqu’à la notification d’une sanction disciplinaire dans certaines hypothèses.
L’issue de ce litige aurait le cas échéant pu être différente si le salarié avait été en mesure de prouver que l’accident était le résultat d’une politique d’entreprise à risque incitant les chauffeurs à utiliser des machines pour lesquelles ils n’avaient pas les formations adéquates, politique contraire à l’obligation de l’employeur d’assurer la santé et la sécurité des salariés dans tous les aspects liés au travail[3], ce que le salarié a avancé, mais sans le prouver, dans cette affaire.
[1] Cour d’appel, 28 mars 2024, CAL-2023-00516 du rôle
[2] Article L.121-9 du Code du travail
[3] Article L.312-1 du Code du travail